Elles sont parmi les plus toxiques qui ont pu servir souvent de têtes de séries pour donner des idées de modèles moléculaires aux chimistes, qui ont soit reproduit par synthèse ces substances naturelles, soit amélioré les structures au bénéfice de la santé, pour diminuer certains effets secondaires, ou pour améliorer leur biodisponibilité …
Ouvrons donc nos yeux mais en se rappelant la devise de Mérimée « Souviens-toi de te méfier » !
En altitude, vous découvrirez l’aconit : Aconitum napellus L. (Renonculaceae), (Giftkrüt, Teifelswurzel), la plante la plus toxique de notre flore, formant çà et là quelques colonies isolées, nichées au creux de rochers humides par exemple dans la descente de falaise menant au lac des truites sur les hauteurs d’Orbey.
Cette fleur mortelle, avec son casque bleu roi, voire violet, domicile du bourdon venant butiner sa corolle, fut jadis utilisée comme poison par Médée, magicienne dans la mythologie grecque. On l’appelle aussi le « casque de Minerve » et sa racine est en forme de navet, d’où son nom. C’est l’un des principaux poisons de flèches de chasse voire de guerre d’autrefois. Son principe actif, l’aconitine, diester diterpénique, est létal à la dose de 3 à 5mg en raison de sa cardiotoxicité (interaction avec les canaux sodiques), engendrant des arythmies, des picotements de la langue, une paresthésie et une faiblesse musculaire. Autrefois cette plante était utilisée dans les douleurs du trijumeau, les toux d’irritation, mais ses préparations n’étant pas stables, leur efficacité diminue rapidement, en milieu liquide, plus de 500 fois, par hydrolyse des esters, qui constituent ses vecteurs biologiques. De plus la marge entre l’intérêt thérapeutique et sa dose toxique est très étroite.
Certaines espèces voisines ont des fleurs jaunes notamment l’Aconit « Tue-Loup » A. vulparia Rchb. dénommée ainsi en raison de sa toxicité.
Un rideau, voire une averse de lumière au sein de coupes forestières, feront apparaître une plante des Vosges qui vous va droit au cœur, sorte de majestueux orgueil de chez nous : il s’agit de la digitale : Digitalis purpurea L., (Plantaginaceae ou Scrophulariaceae), Fingerhüet, ou digitale pourprée des Vosges.
Bisannuelle, elle apparait dans les clairières siliceuses, modestement, la première année, arborant une rosette de feuilles basales, pubescentes gaufrées. Puis la seconde année, sa hampe florale portera une longue grappe de fleurs unilatérales, pourpres, en doigt de gant, dont la gorge est tavelée d’éphélides noires ou blanches. Elle est fréquente dans tout le massif vosgien, sur terrain gréseux autour du Mont Sainte Odile, à partir d’une petite altitude et jusque sur les pentes du ballon d’alsace ; elle est parfois visible en plaine, dans la forêt de Haguenau ou dans la basse vallée de la Thur près de Bollwiller. Sa réputation date de W. Withering en 1785 qui l’utilisa dans le traitement des stases veineuse (« hydropisie ») et les œdèmes.
Son pouvoir cardiotonique a expliqué a posteriori ces propriétés diurétiques et Nativelle, un pharmacien français découvrit en 1868 l’un de ses principes actifs, la digitaline. En réalité, c’est une série complexe de stéroïdes cardiotoniques uniques sous forme d’hétérosides (liés à des sucres qui augmentent leur solubilité), possédant un cycle lactonique latéral insaturé particulier. Leur biodisponibilité est accrue par d’autres saponosides (digitonosides) présents qui les solubilisent et accroissent l’absorption intestinale. Il s’agit de cardiotoniques majeurs qui furent les premiers à être mis sur le marché. Parmi toutes ces molécules, on retiendra la digoxine, utile dans les troubles de l’insuffisance cardiaque et supra-ventriculaires. L’intoxication se traduit par des nausées, des troubles neurologiques avec apathie, confusion mentale et perturbations visuelles et avec une coloration jaune de la vision…ne rapporte-t-on pas que Van Gogh a peint tant de tableaux avec une dominance de jaune (les tournesols…), car il prenait de la digitaline ?
Actuellement certains médicaments de synthèse sont davantage utilisés malgré ces digitaliques naturels qui eurent leur heure de gloire ! Ne vous laissez pas aller à vouloir faire des infusions, car chaque année des accidents mortels sont hélas décrits, notamment lorsque la hampe florale de seconde année n’est pas visible et que la rosette de feuilles basales de première année peut être confondue avec des feuilles de bouillon blanc inoffensives.
Sous l’ombrelle des feuillages, bien au frais et colonisant certaines hêtraies, en ce mois de mai, juste à temps pour offrir le symbole du bonheur, le muguet, Convallaria majalis ou encore « Lys de mai de la vallée » ou « larmes de la Vierge », Maiegloeckle (Asparagaceae), exhale son délicat parfum que les chimistes n’arrivent pas reproduire exactement, malgré les moyens les plus modernes !
Si celui-ci vous séduira en expirant ses intimes secrets, c’est aussi une autre plante cardiotonique, car elle « ralentit, régularise et renforce » les battements cardiaques, avec ses clochettes blanches, premier sourire aux dents d’ivoire du printemps. Comme la digitale, des cardiotoniques voisins (convalloside, convallatoxine…) sont présents, mais heureusement moins bien biodisponibles, d’où une plus faible accumulation et une toxicité moindre.
Néanmoins ne portez pas ces fleurs à la bouche car l’élégance de ces brins peut être dangereuse et bien que les intoxications graves soient exceptionnelles, il faut être vigilant.
Les feuilles de l’ail des ours qui poussent dans les mêmes lieux peuvent être confondues avec celles de muguet, ce qui peut être tragique.
Les feuilles vert sombre, découpées et les fleurs verdâtres ou blanches de l’hellébore, Helleborus niger L , (Ranunculaceae), et dont les graines servaient à soigner la folie au temps de Molière : « Ma commère, il faut vous purger/ Avec quatre grains d’éllébore » (La Fontaine-fables) est un purgatif drastique, mais aussi un cardiotonique accumulant des hétérosides du type bufadiénolides, des substances toxiques proches de celles de la scille et qui sont curieusement aussi élaborées dans les glandes externes des épidermes des crapauds. Quelle curiosité de la nature ! On gardera cette fleur néanmoins comme plante décorative au moment de Noël !
Selon la chanson bien connue qui signe la fin de l’été, voici qu’apparait la floraison du colchique, Colchicum autumnale L., (« lis vert, Dame nue » …), (Liliaceae), en allemand Fülefüte; Herbstzeitlose en alsacien. Originaire de la Colchide d’Asie Mineure, il fut longtemps considéré comme toxique et ce n’est qu’au début du XIXème siècle que Want découvrit que c’était un puissant anti-arthritique, bien que l’on rapporte aussi qu’il fut utilisé dans l’empire byzantin dès le Vème siècle dans le traitement de la goutte. Laborde et Houdé en 1884 parvinrent à en cristalliser le principe actif, la colchicine (pas facile car c’est une base faible, l’atome d’azote ne faisant pas partie d’un cycle !), un alcaloïde isoquinoléique.
Curieusement, cette fleur, rose violacée, possède un ovaire qui reste au niveau du bulbe et qui ne sort de terre que l’année suivante pour donner une capsule triloculaire avec des graines, soit quasiment le temps d’une gestation humaine ! Ses étamines, ne doivent pas être confondues avec celles d’autres Liliaceae, comme le safran, Crocus sativus L., (Iridaceae ou Liliaceae), car c’est un poison violent. En effet la plante entière et notamment ses bulbes et ses graines biosynthétisent une vingtaine d’alcaloïdes originaux à structures tricycliques, dont une tropolone à atome d’azote extracyclique. Cette torsion spatiale due à sa non coplanéité, est indispensable à l’établissement d’une liaison avec la tubuline, ce qui inhibe la formation des microtubules, conditionnant ainsi une activité antimitotique au niveau de la métaphase.
La colchicine est employée comme antirhumatismal, signant aussi le diagnostic de l’accès aigu de goutte, inhibant la sécrétion de médiateurs endogènes au niveau des leucocytes et dans les arthrites microcristallines. En général votre médecin vous prescrira des doses de l’ordre de 3 mg le premier jour, 2 mg le second et 1mg le troisième, car la dose létale est de l’ordre de 10 mg. Cette fleur à cycle biologique inversé nous interpelle. Alors qu’elle n’a aucune odeur, les chevaux qui paissent tranquillement dans ces prés n’y touchent pas ! On peut se demander quelle information détiennent-ils pour éveiller ainsi leur prudence !
Plus rarement, vous rencontrerez certaines plantes de la famille des Solanaceae dans les clairières voire les décombres, qui agissent sur le système nerveux autonome avec des symptômes qui peuvent atteindre le système nerveux central, si la dose dépassée est toxique. Il s’agit de la belladone: Atropa belladonna L. ou « morelle furieuse » ou Tolkirsche en alsacien (la cerise qui rend fou) possédant une corolle campanulée brun-violacé et un fruit qui est une baie globuleuse d’un noir brillant de la taille d’une cerise.
La dénomination « Atropa » rappelle sa toxicité car elle était l’une des trois Parques qui coupait le fil de la vie et « belladonna » indique que les belles italiennes s’instillaient du jus de la tige dans leurs yeux, c’est-à-dire de l’atropine, un alcaloïde tropanique, parasympatholytique, inhibiteur des récepteurs muscariniques des organes périphériques, pour leur donner un air de séductrice, faussement ingénue. Ses propriétés pharmacologiques et thérapeutiques sont nombreuses : dilatation des pupilles : mydriase passive découverte par Van Swieten en 1770, diminution de toutes les sécrétions (salivaire, sudorale, bronchique, lacrymale…), diminution du péristaltisme intestinal… En effet, la belladone agit sur le système nerveux autonome et possède de multiples impacts sur la santé. Une dizaine de ces baies noires, luisantes, peut tuer un enfant, ce qui est d’autant plus redoutable que l’amertume de la pulpe est peu intense et n’éveille guère le doute.
Dans ce cas, une tachycardie apparait, avec des hallucinations visuelles et auditives, des convulsions, ou alors de l’incoordination motrice qui induit des danses inconsidérées
De la même famille botanique, le datura ou stramoine, ou Stechapfel en alsacien, est présent de manière irrégulière dans les terrains vagues jusqu’à 500 m (Datura stramonium L.) ; ilpossède une capsule tétraloculaire.
La jusquiame noire (Hyoscyamus niger L.) appelée Schlafkrüt en alsacien, pousse sur les vieux murs et son
fruit est une capsule biloculaire s’ouvrant par un couvercle pour laisser échapper les graines.
Nous la rencontrerons dans les terrains vagues près des villages et jusqu’aux métairies des hautes Vosges. Autrement dit, voici trois Solanaceae avec trois fruits différents. Les principes actifs sont très voisins et l’efficacité symptomatologique la même. Notons enfin que le modèle de l’atropine a servi de modèle moléculaire pour synthétiser de très nombreux « atropiniques », médicaments utilisés en thérapeutique. Ces substances sont aussi utilisées en pré-anesthésie comme anti-sécrétoires. Les sorcières du Moyen-Âge en enduisaient leur manche à balai qu’elles chevauchaient pour les faire accéder à des visions fantastiques car nous connaissons bien la biodisponibilité transcutanée de la scopolamine, utilisée d’ailleurs comme « patch » contre le mal des transports…
Attention aussi à cette belle Apiaceae (autrefois dénommé Ombellifères) au port hiératique, la ciguë, Conium maculatum L. qui se mêle au persil et à la carotte sauvages qui apparait avec sa haute tige dans les talus et fossés, par exemple le long de l’Ill à Erstein mais qui est plus fréquente dans le Haut Rhin. On reconnait cette grande plante en raison de la présence de macules rougeâtres sur sa tige. Voici le poison mortel qui emporta Socrate.
Dans le fruit mûr s’accumulent des alcaloïdes pipéridiniques comme la coniine, qui bloquent la transmission nerveuse au niveau des ganglions et de la jonction neuro-musculaire, d’où une paralysie progressive qui débute par les pieds et atteignant le diaphragme entrainera la mort par asphyxie. Cette toxicité préserve une intelligence intacte jusqu’au dernier moment ce qui permit à Platon de rapporter le dialogue et cette mort « en direct » dans le Théétète.
Rappelons enfin qu’à la limite « toutes les substances sont des poisons, seule la dose permet de distinguer un poison d’un médicament » (P.A. Theophrastus Bombastus von Hohenheim dit Paracelse 1493- 1541).
Mais revenons flâner au gré d’autres rencontres spontanées.