Nous voici, « robinsonnant » au milieu des herbes rases, et où les clochettes éclatantes de quelques campanules esseulées apparaissent, battues par les vents, dont aucune propriété majeure n’a encore été découverte, sinon de nous enchanter par leur frêle corolle d’un doux bleu pastel…
Plus intéressants sont les capitules solitaires, jaune orangé à fleurons ligulés de l’arnica : Arnica montana L. (Asteraceae), (Arnika, Angelkrüt, Niiessblüem, Ringwurzel), connu sous l’appellation de « tabac des Vosges » en raison de ses propriétés sternutatoires.
Sa présence a lieu à partir de 900 à 1000 m d’altitude, par exemple sur le massif du Markstein ; sa récolte est soumise à autorisation comme bien d’autres plantes rares citées dans cet article et dans le Livre rouge des espèces menacées d’Alsace comme la gentiane jaune que nous verrons sous peu. Au XIIème siècle, Sainte Hildegarde l’avait élevé au rang de « plante médicinale » revendiquant des vertus proches de celles du quinquina.
Mais rien de tel n’a été prouvé scientifiquement. Chimiquement, en dehors de caroténoïdes qui lui confèrent sa chaude couleur, l’amertume provient d’esters de lactones sesquiterpéniques (hélénaline…) et de bien d’autres substances (triterpènes…) On lui attribue des propriétés anti-inflammatoires qui sont utilisées traditionnellement par voie externe (teinture…). Il s’agit de ce qui la fit dénommer la « Panacée des chutes », utile contre les hématomes (inhibition de l’agrégation plaquettaire notamment), les entorses, les meurtrissures. Néanmoins l’arnica est toxique par voie orale et peut être allergisant.
Mais voici la majestueuse gentiane jaune, droite et fière, pour laquelle d’aucuns pensent que sa taille annonce la hauteur de neige de l’hiver suivant : Gentiana lutea L. galer Enzian (Gentianaceae).
Cette grande gentiane jaune, originaire d’Illyrie et dénommée en l’honneur du roi Gentius, est protégée pour éviter une récolte intempestive.
Les principes de sa racine dure et cassante, avec des xanthones jaunes, anti-oxydantes sont considérés comme les plus amers que l’on connaisse : ce sont des séco-iridoïdes (gentiopicroside…) et parmi eux, l’amertume de l’amarogentioside est encore perceptible à la dilution de 1/56 millionième ! Par comparaison, l’étalon de quinine dilué au centième, n’est décelable qu’à la dose de 200 000 unités !
C’est donc un véritable chef d’orchestre des amers dont la longue amertume en bouche constitue un point d’orgue et qui fit le bonheur des apéritifs, augmentant aussi les sécrétions gastriques d’où cette sensation de faim ! Signalons que toutes les Gentianaceae sont amères, même la séduisante petite gentiane bleue, ou la petite centaurée, Centaurium erythraea Rafn, spontanée dans les clairières…
La gentiane jaune ne doit pas ne pas confondre avec le Vérâtre qui est mortel Veratrum album L. (Melianthaceae), qui pousse aussi dans les régions montagneuses de l’Europe, souvent côte à côte avec la gentiane.
Mais alors que la gentiane jaune possède des feuilles embrassantes au sommet de la tige, le vérâtre possède des feuilles alternes, engainantes, à nervures parallèles. Les fleurs ont un périanthe blanchâtre. Mais la confusion peut se faire lorsque la plante est encore petite, sans fleurs. Les racines chevelues du vérâtre contiennent des esters complexes, les protovératrines (vératramine…), fortement hypotensives car augmentant le tonus parasympathique et stimulant les barorécepteurs du sinus carotidien et qui peuvent plonger rapidement dans le coma.
C’est ce qui est arrivé à de jeunes campeurs alsaciens, voulant survivre plusieurs jours à la belle étoile, en consommant seulement les plantes locales. Voulant récolter des racines de gentiane qu’ils mirent à macérer dans du schnaps et malheureusement faisant la confusion, ils se retrouvèrent en réanimation à l’hôpital de Colmar, sauf un qui n’était pas adepte de ce type de breuvage et qui donna heureusement l’alerte.
Nous avons eu au laboratoire (RA) l’expertise à réaliser sur l’origine de l’espèce botanique. Rien n’était plus facile. Alors que l’expertise chimique aurait demandé beaucoup de temps, eu égard au manque de témoins chimiques comparatifs que l’on ne trouve évidemment que difficilement dans le commerce, l’examen sous microscope de la racine donnait la réponse en quelques minutes. Les racines de grande gentiane ne possèdent pas d’amidon, ce qui est d’ailleurs très rare pour des organes souterrains. Par contre la simple addition d’iode mettait en évidence cet amidon coloré en bleu foncé dans les racines de Vérâtre. De plus la disposition des faisceaux libéro-ligneux était caractéristique d’une monocotylédone pour le vérâtre, disposition complètement différente chez la gentiane. Le diagnostic était dès lors évident. Un grand groupe pharmaceutique dut d’ailleurs renoncer à utiliser les principes actifs du vérâtre, car la marge thérapeutique et toxique est trop étroite et de plus la croissance de la plante est très lente.
On ne peut pas ne pas observer la célèbre pensée des Vosges, apparaissant sur les chaumes du Haut Rhin à plus de 900 mètres, Viola lutea Huds., (Violaceae), en allemand : Stiefmütterchen, Ackerveilchen, et en alsacien : Dreifàltigkeitle, Stiefmietterle. Si l’on veut lui trouver quelqu’intérêt, on remarquera quelques dérivés salicylés qui ne lui confèrent que de modestes propriétés anti-inflammatoires et adoucissantes grâce à de petites quantités de mucilages.
Sur les hautes chaumes acides et siliceuses, ce sont de petits sous-arbrisseaux aux fruits globuleux bleus, à mésocarpe charnu, avec à leurs sommets des restes du style et du calice et que de nombreux adeptes des produits naturels récoltent pour les bonnes tartes de chez nous : les myrtilles, Vaccinium myrtillus L., (Ericaceae), Heidelbeeren…en allemand. Ses fruits riches en anthocyanes ont des propriétés vasoprotectrices et anti-œdémateuses par effet inhibiteur sur la phosphodiestérase de l’AMP cyclique, inhibant aussi l’agrégation plaquettaire. On retiendra aussi les effets par voie orale sur les troubles vasculaires, ceux de la vision mésopique et scotopique, sur l’insuffisance veineuse (jambes lourdes, hémorroïdes, pétéchies…), mais aussi sur les ecchymoses.
Autrefois, l’on préconisait de faire attention à la cueillette, car les renards atteints d’échinococcose multiloculaire risquent de souiller par les selles les belles baies bleu nuit de ces myrtilliers, contaminant ainsi les braves récolteurs, alors qu’elles pourraient être utiles à ceux dont la vision crépusculaire en ont besoin pour régénérer leur pourpre rétinien. On rapporte que durant la dernière guerre mondiale, les aviateurs anglais de la RAF consommaient des tartes à la myrtille avant d’aller bombarder de nuit les installations ennemies.
Plus tard, au mois de novembre, les chaumes deviendront couleur améthyste : des bruyères et des callunes, Calluna vulgaris (L.) Hull. (Ericaceae), Heidekraut, formeront des tapis violacés, dont les décoctions contiennent de l’arbutine, un dérivé hydroquinonique antibactérien et utilisé contre les infections urinaires légères.
Dans les tourbières près du lac des truites sur les hauteurs d’Orbey, baissez-vous pour observer la plante carnivore par excellence, protégée dont la cuillette est interdite, Drosera rotundifolia L. (Droseraceae), avec son limbe recouvert de longs poils rouges à tête visqueuse, sécrétant un liquide riche en enzymes protéolytiques capables de digérer les insectes qui s’y risqueraient, un pouvoir magique en somme pour se nourrir de protéines animales !
Alors que l’hiver ne touche pas encore à sa fin, au cœur de l’austérité hiémale, dans les cirques glaciaires des Vosges, balayés par les frimas, vous apercevrez le perce-neige Galanthus nivalis L (Amaryllidaceae). Une jolie petite fleur, modeste, avec ses clochettes blanches, mais qui l’eût cru ? Son alcaloïde, la galanthamine a été l’un des espoirs de guérison des symptômes de la maladie d’Alzheimer ou du moins du ralentissement de son évolution. Son mode d’action est connu : c’est un inhibiteur compétitif et réversible de l’acétylcholinestérase, modulateur allostérique des récepteurs nicotiniques au niveau du cerveau, ce qui a pour conséquence des effets centraux ou périphériques améliorant, d’après certaines études cliniques les fonctions cognitives chez les malades atteints de cette redoutable maladie, d’où leur meilleure insertion dans la vie quotidienne. Des expérimentations récentes paraissent avoir démenti, hélas, ces merveilleuses propriétés cliniques.
Plus loin vous reconnaitrez facilement le genêt à balai (on faisait des balais avec ses tiges), Sarothamnus scoparius (L.) W.D.J.Koch. ou Cytisus scoparius (L.) Link, (Fabaceae), Ginschter, car c’est un arbuste silicole avec des rameaux dressés munis de fleurs dont le style jaune est enroulé en « cor de chasse ».
C’était autrefois l’emblème des souverains anglais (1154-1485) et Geoffroy II, comte d’Anjou fleurissait son casque avec cette corolle éblouie d’or. L’ensemble de ses organes, notamment les gousses et les graines biosynthétisent un alcaloïde principal, la spartéine, considérée maintenant comme toxique. On ne l’emploie guère, mais autrefois elle servait de ganglioplégique, bloquant l’influx nerveux au niveau des ganglions avec des effets sur le rythme cardiaque en soustrayant le myocarde d’une excitabilité importante. Cet alcaloïde est également légèrement ocytocique, augmentant le tonus et les contractions utérines chez la femme enceinte.
Et puis contournant de petites cascades d’où jaillissent des eaux vives d’une ineffable pureté, apparaissent la grande mer des sapinières, dont les fines aiguilles fournissent une huile essentielle odorante, renfermant une série de carbures et d’oxydes monoterpéniques qui se résinifient avec le temps et à l’air. Autrefois l’on fabriquait dans les Vosges la térébenthine du même nom et on utilisait les bourgeons de pin sylvestre et ceux de sapin dans le traitement symptomatique de la toux et des affections bronchiques aiguës bénignes et qui stimulent l’élimination des toxines et des miasmes délétères. Qui n’a pas sucé des pastilles en contenant ?