Qui est-tu ? Que seras-tu ? 

Qui es-tu ? Que seras-tu ? Telles sont les questions que nous posons à l’Alsace d’aujourd’hui et de demain. A suivre le philosophe Paul Ricoeur, la meilleure façon de répondre à la question “qui ?” est de raconter l’histoire d’une vie : “individu et communauté se constituent dans leur identité en recevant des récits qui deviennent pour l’un comme pour l’autre leur histoire effective”. Fidèle à la mémoire d’hier, façonné par l’héritage culturel, le récit se projette dans l’avenir avec la promesse du maintien de soi. Mais il ne peut définir une identité acquise une fois pour toutes, car il signifie aussi “provocation à être et à agir autrement”.


Ainsi en est-il de l’Alsace de nos jours, alors qu’elle est provoquée par les crises identitaires de l’ère numérique, dont les manifestations de présentisme et d’individualisme annoncent une identité sans mémoire et sans partage. Une faille intergénérationnelle se creuse entre les générations “digital native” avides de communication et de consommation immédiates, et les générations antérieures fidèles au temps long des usages traditionnels.


 Un clivage territorial entre métropoles et zones périurbaines tend de même à s’imposer, accompagné par la distinction entre “nomades créatifs” et “néosédentaires”. Maîtres des techniques de pointe numérisées et robotisées, les premiers trouvent dans les grandes métropoles et auprès des grandes universités internationales, le terrain favorable à la création de nouveaux savoirs et richesses ; moins mobiles, moins touchés par la globalisation du monde, les néosédentaires conservent pour leur part le culte de “l’entre-nous” dans les frontières protectrices du territoire, quitte à moins profiter des avantages de la mondialisation.


Soucieuse de la promesse du maintien de soi dans la profondeur de ses racines propres, l’identité de l’Alsace est appelée à s’adapter aussi aux rapides mutations de l’environnement mondialisé et européen. C’est forte de sa jeunesse éduquée, de ses métropoles universitaires et de la densité culturelle de son territoire, que la province peut maîtriser les crises identitaires nées de la mondialisation.

 Et c’est forte de son expérience historique unique, qu’elle peut intervenir, non comme victime des nationalismes d’hier, mais comme actrice spécialement qualifiée, dans l’effort franco-allemand à poursuivre un idéal européen partagé.