4. Plantes des collines calcaires et des prairies

Les collines sous-vosgiennes couvertes de vignobles, prennent en automne des tonalités fauves ou rousses, mouchetées de vert, adoucissant le regard, alors que sur les vignobles du midi, des couleurs plus violentes éclabousseraient nos yeux…

Et si l’on est au printemps, l’anémone pulsatile, Anemone pulsatilla L. (Renonculaceae), la « fleur de Pâques » rare et apparaissant sporadiquement dans les zones calcaires d’Alsace, comme à Rosenwiller ou Rosheim, est « une fleur sublime et solitaire, au pavillon de soie étalé pour ses étamines d’or » écrivait Honoré de Balzac. Ses clochettes violettes, duvetées accompagnées de ses feuilles fraîches découpées en lanières, étaient autrefois utilisées en teinture ou mieux en alcoolature dans les difficultés broncho-pulmonaires. Ses principes actifs irritants à l’état frais, s’hydrolysent rapidement lors du séchage en ranunculine qui se dimérise en anémonine peu active et que l’on retrouve aussi chez la plupart des renoncules et les clématites.

En revenant, le long des routes et des talus, alors qu’au loin les blés roses comme du cuivre et que l’ondoiement des glumes dans le vent vous picotent, voici un lit de fleurs des champs, qui se comptent à foison, formant de larges tapis aux haleines multiples. Cependant, alors que la rosée du matin humectera encore leurs feuilles, et que les ailes ocellées des papillons multicolores volèteront, les refermant et les ouvrant tour-à-tour, s’épanouissent sur les talus, les boutons-d’or luisants, les scabieuses bleutées ou « oreilles de lièvres » les églantines roses, avec en fond cette odeur des menthes sauvages.

La violette

Si l’on a de la chance, notamment toujours au printemps, « la plus humble des fleurs sera la plus superbe (Jean Desmarets de Saint-Sorlais (16ème s.) avec son délicieux et subtil parfum, la violette, Viola odorata L. (Violaceae) en allemand : März Veilchen, en alsacien : Märzeveiele, Veilàtte, Veilùtte, Veietel, reste le symbole de la modestie.

la primevère

Toujours en avril, sur les pelouses fraîches, les têtes inclinées jaune vif, surmontant une hampe florale couverte de duvet de la primevère, Primula elatior (L.) Hill (Primulaceae) (Himmelschlüsselblumen) en allemand : Wiesenschlüsselblume, et en alsacien: Himmelschessele, Lungekrütt, encore dénommées „coucous des prés“ constitueront pour vos enfants leur premier bouquet de fleurs odorantes, également réputées en infusion pour vos premiers accès de la toux.

Cette jolie corolle concave avec 5 taches orangées au sommet, dont certaines espèces sont néanmoins allergisantes par voie externe, mais surtout les parties souterraines, contiennent des saponosides mais aussi des esters salicyliques qui augmentent la fluidité des sécrétions bronchiques et sont des adoucissants. Shakespeare dans le songe d’une nuit d’été écrivait  « Vous voyez des taches sur leurs robes d’or : ce sont les rubis, les bijoux de la fée, taches de rousseur d’où s’exhale leur senteur ».

Les pissenlits

Les pissenlits Taraxacum officinale (L) Weber, (Asteraceae), (couronne de moine, laitue de chien…) en allemand : Löwenzahn, Bettseicherkraut, en alsacien: Brunsblüem, Bettschisser,, sont trop communs et font, hélas partie, des « mauvaises herbes ». Et pourtant, ils ont des vertus dépuratives, stimulantes de l’appétit et des fonctions digestives.

Avec ses feuilles basilaires en rosette, découpées, rappelant les dents d’un fauve d’où son nom de « dents de lion », avec ses capitules jaunes de fleurs ligulées et le « parachute ailé, de cet amer doux, dont le pappus soyeux est une véritable « bulle d’argent, frêle sans cesse échevelé » (Th. Gautier), nous avons tous, enfant, soufflé ses aigrettes anémophiles  qui s’évaporent dans le vent.

Riche en minéraux (potassium…), son amertume est due à des lactones sesquiterpéniques nombreuses (eudesmanolides…) mais aussi à des alcools triterpéniques (taraxastérol…). Cholérétique et cholagogue, diurétique à forte dose (où son nom) la science est a priori contradictoire. Certaines recherches pharmacologiques mentionnent que l’infusion empêche l’énurésie nocturne, d’autres mentionnent un effet diurétique chez le rat.

la matricaire

Dédiée aux affections féminines, l’étymologie venant de « matrix » (matrice), Matricaria recutita L. : Kàmelle ; Kàmelekrütla, (Asteraceae), la matricaire ou camomille allemande, Kamillenblüten se retrouve dans les lieux incultes dont les capitules possèdent des fleurons ligulés à languette blanche sur un réceptacle conique jaune.

Là aussi, des lactones sesquiterpéniques (matricine…) et des flavonoïdes (polyphénols) originaux ont fait de ces fleurs un remède traditionnel des digestions pénibles, associant des effets anti-inflammatoires non stéroïdiens, à des propriétés apéritives en raison de leur amertume.

mélilot

Séchées, les sommités fleuries du mélilot, Melilotus officinalis (L.) Lam (Fabaceae), (casse-lunettes, petit trèfle jaune…) Steinkleekraut, en allemand : Honigklee, en alsacien : Hunniklee, exhalent la fragrance de la fève Tonka, recherchée dans certains parfums et qui sont de la classe des coumarines.

En effet, le mélitoside s’hydrolysant, conduit par lactonisation à cette coumarine volatile à odeur de foin séché. Ses préparations servent dans le traitement symptomatique des troubles fonctionnels de la fragilité capillaire, de l’insuffisance veineuse (jambes lourdes…), dans les troubles digestifs, les états neurotoniques et les troubles du sommeil. 

 Mais ces coumarines ne sont pas anticoagulantes. Cependant, c’est justement au cours du séchage des fourrages en milieu humide, qu’une contamination fongique peut intervenir en dimérisant deux molécules pour former le « dicoumarol », entrainant chez le bétail des hémorragies (maladie du mélilot « gâté »), substance qui a été le chef de file de la découverte des anticoagulants de synthèse. Il semble d’autre part que certaines coumarines ne soient pas aussi inoffensives, car elles sont hépatoxiques.

 l’aspérule odorante

Et pour terminer l’aspérule odorante, Galium odoratum (L.) Scop (Rubiaceae) (Wàldmeischter, Maiekrüt.), dégage la même odeur très agréable de coumarine, lorsque ses parties aériennes sont séchées, et ce par hydrolyse du mélilotoside présent. Utilisée dans les mêmes indications que le mélilot, en Alsace, l’aspérule est macérée dans du vin pour élaborer le « vin de mai » ou « maitrank » en alsacien qui rassemble les mêmes propriétés mais qu’il faut néanmoins consommer avec grande modération !

Mais voici que rôde la nostalgie des temps anciens, car au milieu des champs de céréales blondes, parmi le frémissement des glumes dans le vent, au sein des épis inégaux, les bleuets, les fiers coquelicots parés de de leur pourpre cardinalice furent le symbole de notre drapeau national, accompagnés des marguerites ouvrant leurs grands yeux mouillés de rosée….mais ce ne sont plus que des rêves, car sur les rives de la vie, où fleurissaient aussi les illusions enfantines en cueillant avec un certain délice des bouquets de marguerites, les pesticides et autres poisons ont fait leur funeste œuvre et les ont, hélas, éradiqués ! ….

Les capitules de bleuets

Les capitules de bleuets, Centaurea cyanus L. (Asteraceae), doivent leur couleur à des anthocyanosides et ont fait leur réputation comme adoucissants et légèrement anti-inflammatoires en usage local, en cas d’irritation ou de gêne oculaire.

coquelicots

Notre grand poète, Victor Hugo écrivait avec délicatesse : « l’air brûlant fait luire en la fournaise des plaines la braise des coquelicots, mélangés au bleuet sa compagne » !

Oui, ce coquelicot, Papaver rhoeas L., (Papaveraceae), , Mohnblüem, Firblüem en alsacien est par son nom français une onomatopée du cri du coq « coquérico » et sa couleur écarlate rappelle la rougeur de sa crête, que d’aucuns ont aussi qualifiée de « fleur du crime, de fleur de sang sur la lèvre épaisse du sillon » (R. G. Cadou). Son fruit est une petite capsule en réplique miniature de celle du pavot somnifère à opium, mais les voies de biosynthèse ne sont les mêmes…

Le coquelicot accumule de petites quantités d’alcaloïdes de type tétrahydrobenzazépinique (rhoeadine) qui peuvent être utiles comme sédatif léger, dans les troubles de la nervosité, la toux et l’éréthisme cardiaque. Mais en conséquence les alcaloïdes du pavot somnifère, comme la morphine, la codéine, la thébaïne, n’y sont pas présents. C’est donc un leurre de vouloir récolter les capsules de coquelicot pour faire « un trip »…Séchée, sa corolle, lie-de-vin se violace, et donnera à l’infusion une couleur rouge cerise si l’on ajoute quelques gouttes de citron.

le lamier blanc

Les herbes folles des talus semblent toujours sans intérêt. Mais l’obliquité de votre regard se posera sur le lamier blanc Lamium album L. (Lamiaceae), en allemand : weisse Taubnessel., en alsacien : Sügerle, Honiblüem. Empiriquement ses corolles à gorge béante, immaculées et à l’état frais que d’aucuns qualifient de source d’effluves délicates, sont destinées en priorité aux secrets de la femme. En réalité, ses constituants sont très modestes, sans grande originalité et les preuves scientifiques sont peu probantes, mais c’est la tradition.

 le bouillon blanc


Plus majestueux, c’est une sorte de véritable cierge, muni d’une inflorescence d’or duveteuse, effilée, ensoleillée qui apporte une longue tradition de douceur.

En effet, le bouillon blanc, Verbascum thapsiforme Schrad. Scrophulariaceae, Wollbluëme, Wollblumen doit sa dénomination aux filets barbus de ses étamines. Les mucilages (polysaccharides uroniques), les flavonoïdes, des iridoïdes (aucuboside…) présents sont des adoucissants dans les maux de gorge (plantes pectorales), dans les troubles fonctionnels digestifs mais aussi dans de nombreux domaines en usage externe et les affections dermatologiques.

séneçons

Considérée comme de « mauvaises herbes » et vraiment mièvres, la cinquantaine d’espèces de séneçons, Senecio sp. Asteraceae, Kreuzkraut, possèdent un duvet blanchâtre sur leurs akènes, ce qui nous invite à une certaine analogie avec la chevelure d’un vieillard.

Leurs capitules jaunes fleurissent presque en toutes saisons, dans les prés. La sage science nous montre cependant que tout ce qui est naturel n’est pas forcément bon. Leur utilisation est à déconseiller sans regret aucun. Autrefois néanmoins, un célèbre élixir était vanté pour les problèmes de « jambes lourdes ». 

Depuis, sa formule a été « épurée » car de nos jours, nous savons que des alcaloïdes pyrrolizidiniques complexes hépatotoxiques (syndrome veino-occlusif, ascite, cytolyse…) peuvent être présents (présence ou non d’une double liaison), causant des intoxications graves chez les enfants et même les chevaux qui les broutent dans les pâturages, entrainant des convulsions et même une cirrhose.

la sauge des prés

Plus loin au loin au milieu des pacages, la sauge des prés, Salvia pratensis L. Lamiaceae, en allemand : Salbei, Edelsalbei, en alsacien : Sàlwei, semble vouloir dépasser les herbes voisines pour se montrer avec ses fleurs bilabiées aux insectes visiteurs et chercheurs de pollen, en s’inclinant vers l’avant pour donner plus de chances à la pollinisation. Y-a-t-il une intelligence quelque part.… ?

Mais il y a sauge et sauge ! Alors que la sauge officinale, Salvia officinalis L. Lamiaceae, qui croit dans les garrigues du midi, est riche en huile essentielle contenant un monoterpène bicyclique neurotoxique (la thuyone, molécule proche chimiquement du camphre, est une petite molécule lipophile qui passe la barrière hémato-encéphalique et atteint les centres nerveux), au contraire, cette sauge des prés n’a aucune odeur lorsqu’on la froisse, car elle ne contient pas d’huile essentielle. 

En conséquence, elle n’est pas toxique, mais, à part ses belles corolles bleues, elle n’a guère d’intérêt pharmacologique.

 la fumeterre

Voici que çà et là, la fumeterre, Fumaria officinalis L. Fumariaceae, dénommée « fiel de terre, herbe à la jaunisse… » se développant dans les terrains incultes, possède des feuilles gracieuses comme un chevelu de fumée et aussi un jus qui fait « pleurer les yeux comme la fumée ».

Au XVIème siècle elle « remédiait aux obstructions du foie et aiguisait la vue ». Ses principes sont constitués par une centaine d’alcaloïdes bien connus (protopine, cryptopine…) qui sont vantés comme «amphocholérétiques» régulant le flux biliaire, atténuant les symptômes de l’indigestion, spasmolytiques, mais dont la démonstration clinique est toujours en attente, bien qu’elle soit supputée pharmacologiquement.

Le millepertuis

Ah ! le… millepertuis Hypericum perforatum L. (Hypericaceae), en alsacien : Johanniskrüt, Haxekrüt, voici la plante que l’on a appelé le « prozac » naturel !
D’aucuns iront même jusqu’à penser qu’il s’agit du premier et presque seul, antidépresseur naturel reconnu par les autorités de santé, ayant un mécanisme d’action connu, car c’est un inhibiteur non compétitif de la recapture de la sérotonine, une activité que la médecine empirique d’autrefois n’avait pas mise en exergue. Comme si l’homme qui était né « agressif » pour se préserver des prédateurs et n’avait nul besoin de déprimer…

Quoiqu’il en soit, la tradition utilisait les grappes corymbiformes d’or dont les feuilles piquetées par mille petites glandes noires (ce sont en fait des poches sécrétrices translucides, visibles par transparence) et libérant leurs principes rouge foncé grâce à des naphtodianthrones comme l’hypéricine, mais aussi de l’hyperforine. Leur macération dans de l’huile est encore appréciée favorablement comme cicatrisante sur les brûlures, comme trophique protecteur dans les affections dermatologiques.

Cependant les indications thérapeutiques validées par les autorités de santé à l’issue d’essais cliniques positifs, mentionnent que l’utilisation du millepertuis peut concerner les dépressions légères et transitoires, voire un traitement de première intention. Mais, il convient aussi de noter des interactions médicamenteuses avec de nombreux médicaments qui voient leur concentration plasmatique diminuer et donc de l’effet attendu. Enfin, après exposition au soleil, l’action photo-sensibilisante du millepertuis est bien connue chez l’animal, notamment sur les ovins à pelage blanc.

Dans les taillis et les haies, les ronces encore enrubannées par l’arc-en-ciel des lourdes toiles d’araignée, voisinent avec le jeune églantier qui s’épanouit devant le bois où dort le silence. A leurs côtés les baies bleues des pruneliers, Prunus spinosa (Rosaceae), en allemand : Schlehe, Schwarzdorn, sont recouvertes d’une pruine et apporteront une note de forte astringence due à des tannins et des propriétés en conséquence.

l’aubépine épineuse en fleurs

Plus loin, l’aubépine épineuse en fleurs, Crataegus sp. (Rosaceae), Hagäpfela, Wissdorn, étale sa gerbe blanche sur un coteau près d’une charmille. Ses parties aériennes (sa baie, ses feuilles et ses fleurs), riches en polyphénols (flavonoïdes et proanthocyanidols originaux) sont réputés actifs sur le myocarde  (contractilité et débit), anti-arythmiques et sont bénéfiques dans les palpitations mais aussi dans les états neurotoniques (troubles mineurs du sommeil).

Le sureau noir

Le sureau noir, Sambucus nigra L. (Caprifoliaceae ou Adoxaceae), Holunderbeeren, en allemand comme en alsacien : Holunder, Holder, est un arbuste assez répandu, laissant mûrir au soleil, des myriades de petites baies à chair molle, disposées en grappes.

Au départ ces baies sont vertes en état de véraison pour devenir noires violacées et ont une solide réputation pour les gourmands, en marmelades.
Elles renferment des anthocyanosides qui confèrent leurs propriétés de colorant alimentaire. Mais attention à la présence d’oxalate chez fruits non cuits et de glycosides cyanogénétiques.

Ces molécules donnent naissance à de l’acide cyanhydrique toxique qui est libéré par des enzymes végétales dans l’organisme après l’ingestion. La fleur de sureau est utilisée pour faciliter les fonctions d’élimination urinaire et digestive.

 le genévrier

Toujours dans le contexte des arbrisseaux, le genévrier, Juniperus communis L. (Cupressaceae), Wachholder, Rackholder plus rare et présent dans les hautes Vosges, possède des « baies » qui sont en fait des cônes ou pseudo-fruits, brun-violet à brun-noir, avec à leur sommet trois fentes convergentes.

Apres, fortement aromatiques, elles accumulent une huile essentielle riche en carbures monoterpéniques (pinènes, sabinène…), elles étaient considérées au Moyen-Age comme une panacée et sont utiles aux solides amateurs de choucroute à mieux digérer. On dit aussi qu’elles facilitent les cures de diurèse, mais elles peuvent être irritantes pour les reins. Elles sont aussi à l’origine d’un alcoolat fort apprécié, le gin…n’est-ce pas déjà assez ?

la bourdaine

Plus difficile à trouver parce que caché dans les bois de feuillus, mais bien présent dans les bois humides vous trouverez de la bourdaine, Rhamnus frangula L. (Rhamnaceae), un arbuste sans grande beauté avec ses fleurs en bouquet, blanc verdâtre. Les fruits, des drupes rouges puis noires à maturité, attirent le regard.

Son écorce fait partie de la Pharmacopée européenne porte des lenticelles grisâtres avec une surface interne brun-rouge qui renferme des hétérosides anthraquinoniques (glucofrangulosides, frangulosides…) très efficaces en cas de « besoin », soit de constipation.

Mais cette écorce ne doit pas être utilisé fraîche car elle aurait un effet drastique violent. Il convient de la laisser sécher au moins une année pour que les anthrones s’oxydent à l’air en anthraquinones dont l’activité purgative est plus adaptée et tolérée pour les adultes, l’usage étant contrindiqué aux moins de 12 ans. Le mécanisme d’action est bien connu et il faut un délai de 12 heures pour que les principes actifs atteignent le colon et augmentent ainsi le péristaltisme intestinal.